Interview
avec le photojournaliste Franck Vogel
Nous rencontrons Franck Vogel,
photojournaliste parisien, dans sa petite cantine du 19ème. Cafés en main,
souffles réchauffés, nous entamons une interview quelque peu pressés. En effet,
Franck est en plein préparatif d’un voyage à l’île Maurice pour la réalisation
d’un projet sur les conflits liés à l’eau dans le but de sensibiliser le monde
à cet enjeu crucial et d’amorcer une réflexion sur la gestion de ce problème.
We4Planet : Études de
biochimie à New York, diplôme d’ingénierie à l’AgroParisTech, consultant chez
Accenture pendant quelques mois; vous étiez bien engagé dans une carrière de
recherche scientifique. Comment êtes-vous devenu un photojournaliste de
référence du Développement Durable ?
Franck Vogel : C'est vrai,
j'étais lancé dans une carrière de chercheur mais cette vie plutôt solitaire ne
me convenait pas du tout, je suis de nature sociable. De retour à Paris après
ma maîtrise de biochimie à New York, j’ai rejoint l’AgroParisTech et j’y est
fait une spécialisation en économie et gestion d’entreprises. C’était un peu
une façon de m’ouvrir plus au monde mais ça n’a pas suffi à assouvir ma soif de
voyages et de découvertes.
C’est donc dans le
but de saisir les cultures, les hommes et leurs coutumes au travers du globe
que j’ai décidé de me lancer dans un tour du monde en sac à dos! Avec l’aide
financière précieuse des grands groupes que j’avais rencontrés lors de mon
stage de fin d’études chez Accenture je prévoyais un voyage incroyable.
Et puis…comment vous
dire…J’étais à la cité universitaire de Paris lorsque, aux infos, j’ai vu
l’avion s’écraser contre l’une des tours du World Trade Center. J'avais 24 ans.
J’étais horrifié et j’ai immédiatement pensé aux répercussions de l’attentat
sur l’économie mondiale et plus directement, sur ma propre vie. Effectivement
mes sponsors se sont retirés un à un jusqu’à ce qu’il ne me reste plus que
1500€ en poche. Le 2 janvier 2002, encouragé par le livre d’André Brugiroux «
La Terre n’est qu’un seul pays: 400 000 km autour du monde en stop » où il
raconte son aventure avec 1$ par jour, j’ai donc commencé mon périple en
autostop.
A la
fin du premier jour, je voulais rebrousser chemin…je n'étais pas du tout du
genre baroudeur et je me suis retrouvé à Nairobi dans un hôtel minable, entouré de regards acerbes et de
visages menaçants. Mais je ne pouvais pas rentrer maintenant, j’avais préparé
ce voyage pendant des mois et j’avais vendu un vaste programme à mon entourage,
le tour du monde en trois étapes: l’Afrique, l’Inde et l’Asie du sud-est.
J’étais
trop orgueilleux et c’est ce même orgueil qui m’a permis de persévérer et de
faire des rencontres extraordinaires. J’ai eu la chance de discuter avec des
êtres incroyables dans des situations inouïes! J’ai pris des centaines de photos évidemment mais sans objectif professionnel.
Puis je me suis arrêté en Birmanie dans un monastère bouddhiste
pour faire une semaine de méditation et c'est là-bas que l'idée de devenir un
reporter photo m’est venue. Je voulais devenir un conteur d’histoire, un
dénonciateur d’abus, un instigateur de changement.
À mon
retour un an plus tard, le 31 décembre 2003, j’avais plus de 8.000 images en
poche, j'étais transformé par une des plus grandes aventures humaines
de ma vie et j'avais trouvé ma mission, ma direction, mon cours…Enfin, ne
croyez pas que cela a été simple à
partir de là! S’en sont suivies
plusieurs années de galères financières pour me faire reconnaître et
pour pouvoir vivre de mon travail. On m’a pris pour un fou parce que je
tournais le dos à la vie prospère que mes études m’assuraient. J’aurais pu
gagner beaucoup d’argent au lieu de passer par la case RMI… pas facile !
We4Planet
: Quel
a été votre premier travail reconnu ?
Franck Vogel : Il n'est arrivé que 5 ans plus tard,
entre 2007 et 2008, avec la réalisation d’un projet sur les Bishnoïs du
Rajasthan en Inde. La rencontre avec ce peuple d’écologistes, qui vit en
harmonie avec la nature et la vie sauvage depuis le XVe siècle, a été quelque
chose d’extraordinaire. Les photos prises ont fait partie de gigantesques
fresques à Montparnasse puis d’une expo d’un mois au métro Luxembourg et ont
été vues par plus de 15 millions de personnes. Elles ont été reprises par la
suite sous différentes formes dans 25 pays, une folie ! France Télévision m’a
même commandé un film documentaire que j’ai réalisé en 2010. Le DVD (Bishnois -
Rajasthan, l’âme d’un prophète) est disponible sur Amazon et j’ai aussi
autoédité un livre.
We4Planet
: Vous
avez réalisé un reportage sur les Albinos de Tanzanie, pourquoi ?
Franck Vogel : Au milieu de tout cela, en 2009, j’ai
réalisé un reportage sur les Albinos en Tanzanie qui m’avait été suggéré par un
ami vivant en Tanzanie.
Les albinos sont pourchassés, leurs parties du corps sont vendues à des
sorciers pour des charmes et des potions magiques car la croyance veut qu’ils
soient porteurs de chance et de richesse…C’est un véritable
drame.
We4Planet
: Votre
livre « Fleuves Frontières » (Editions de La Martinière) est un
travail monumental, un témoignage qui a été très documenté à travers le monde.
Comment le sujet vous est-il venu à l’esprit ?
Franck Vogel : C’est suite à la décision de construction d’un
barrage qui risquait de réduire le flux du Nil et de fragiliser ainsi les
relations des pays qu’il traverse que mon attention s’est portée sur le sujet
des fleuves frontières. Je me suis donc renseigné sur la construction par
l’Éthiopie du barrage du Millénaire et des tensions que cela pourrait créer
avec l’Egypte et par conséquent, avec Israël et le reste du monde.
L’implication des terres de ces pays remua
l’ingénieur agricole en moi et j’ai pris un billet d'avion pour aller me
documenter sur les faits. C'était un travail de témoignage profond, plein de
sens et parfaitement en ligne avec ce que je voulais faire. Suite à cela j’ai
enquêté sur le Brahmapoutre, le Colorado et le Jourdain. Afin d’expliquer
l’importance croissante de l’eau dans les années à venir, j’ai réalisé cet
ouvrage sur les grands fleuves frontières
NDLR: Nous vous recommandons fortement l’expo « Le Colorado, le fleuve qui n'atteint plus la mer » au Pavillon de
l'Eau de Paris dans le 16e qui sera
prolongée jusqu'au 30 Mars.
We4Planet
: Pensez-vous
poursuivre votre travail sur les Fleuves Frontières ?
Franck Vogel : En effet, j'ai déjà documenté le
Mékong l’été dernier, qui a été publié en février 2017 par GEO et je vais
poursuivre par le Zambèze, le Gange et l’Amazone. Je suis en ce moment même à
la recherche de partenariats, français ou étrangers, pour compléter ces
témoignages donc n'hésitez pas à en parler autour de vous.
We4Planet
: En
fin de compte, quel sorte d’impact souhaitez-vous avoir et comment pensez-vous
que votre travail peut aider à la résolution de ces conflits ?
Franck Vogel: Je réalise un travail de sensibilisation en
mettant la lumière sur les faits et les hommes, j’essaye d’alerter les
institutions, de réveiller les consciences. L’idéal, bien sûr, serait
d’observer par la suite un impact concret, comme cela a été le cas lors de ma
rencontre avec Khamu Ram Bishnoi qui a donné lieu à la mise en place de
poubelles en Inde. Aussi, j’espère que ma participation aux conférences de
l’UNESCO, de l’Université Columbia, à la COP21 avec l’Ambassade de France au
Kazakhstan ou encore récemment à la COP22 avec Erik Orsenna portera un jour ses fruits.
We4Planet
: Quel
est votre avis sur l'initiative We4Planet ? Pensez-vous qu'elle peut être utile
pour vous aider dans votre mission et pour faire avancer le Développement
Durable ?
Franck Vogel : C’est une excellente initiative qui
permettra de mieux cibler ce que l’ont cherche sur le développement durable et
l’environnement sur le web. Internet est un formidable outil mais souvent on se
perd dans la masse d’information et c’est la que We4Planet a toute sa place.
Mes projets à long terme s’inscrivent parfaitement dans la démarche du site et
les entreprises pourront y avoir accès plus facilement et certaines y verront un
intérêt de s’y associer.
LA BIO DE FRANCK VOGEL EN 10 DATES
•
1977,
Naissance en Alsace
•
1998,
Maîtrise de biochimie à Lehigh University près de New York
•
1999,
Arrivée à Paris pour débuter des études
à AgroParisTech
•
2002,
Départ pour un périple autour du monde et décision de
devenir photoreporter
•
2008,
réalisation du reportage les Bishnoïs du Rajasthan en Inde. Le Reportage fait
le tour du monde, les photos sont vues par plus de 15 millions de personnes
•
2009,
reportage sur le drame des albinos en Tanzanie.
•
2011,
film sur les Bishnoïs << Rajasthan, l'âme d'un
prophète >>
•
2012,
reportage sur le Nil et démarrage du travail sur les fleuves frontières
•
2015, participation à la COP 21
•
2016,
participation à la COP 22 et publication du livre FLEUVES FRONTIERES